La dernière édition du colloque Questions de Pédagogie dans l’Enseignement Supérieur (QPES) s’est déroulée du 17 au 20 janvier 2022 et a réuni principalement les enseignants, enseignants-chercheurs, conseiller, ingénieurs pédagogique et étudiants du Québec, de la Suisse, de la Belgique et de La France autour du thème (S’) Engager et Pouvoir (d’) agir.
Sur quatre jours, cette thématique a pu être abordée selon différents points de vue, dispositifs pédagogiques ou théories scientifiques.
Nous vous proposons une rétrospective en 3 épisodes, où les liens des plénières et des communications vous seront transmis et des articles complèteront la présentation.
Interview inaugurale d’Isabelle Autissier
Cette interview d’Isabelle Autissier sera pour elle l’occasion de nous parler de ce qui l’a construite dans son enfance, de ses choix de navigatrice, de l’engagement que cela requiert et du rôle qu’elle souhaite avoir dans ses combats d’aujourd’hui et de demain.
Extrait du programme QPES 2021
Lundi 17 janvier 2022, après bien des reports et contretemps, le QPES 2021 démarra en ligne et non à La Rochelle… Sauf pour deux irréductibles qui ont bravé vents et marées afin de lancer l’événement comme il se doit. Ainsi Julien Douady, enseignant chercheur et conseiller pédagogique de l’université de Grenoble et membre du comité QPES, a interviewé Isabelle Autissier, navigatrice engagée pour la protection de l’environnement et Rochelaise d’adoption.
Retrouvez ci-après quelques moments-forts de cette entrevue, traversée d’une pensée stoïcienne et optimiste.
Avec les autres
Isabelle Autissier se présente comme membre d’une « tribu » familiale, composée de 10 femmes et de 2 hommes de tous âges, et pour qui les activités, les futurs, les aspirations n’avaient pas de genre. Être une femme, dans les milieux majoritairement masculins qu’elle fréquenta, lors de ses études d’ingénieure halieutique puis de navigatrice, n’a donc pour elle jamais déterminé ou limité le champ de ses possibles : « J’ai géré sans m’en occuper. Pour moi, ce n’est pas une question, ni un obstacle, ni un plus » même si elle reconnaît que c’est encore compliqué pour une femme navigatrice de joindre un équipage masculin, ce qui explique en partie qu’elles favorisent les courses en solitaire. Mais lire des récits de marins qui étaient partis de peu, sans grands atouts, lui ont fait réaliser qu’elle aussi pouvait, comme eux, réaliser son rêve de navigation : « C’est des gens qui vous montrent l’étoile et un peu le chemin pour y aller« .
Le pouvoir d’agir d’Isabelle Autissier se fonde sur deux rythmes : d’un côté les temps longs, minutieux et collectifs de la préparation et de l’autre le moment présent, solitaire, de l’action, du geste à geste, au fur et à mesure de « ce qu’il faut faire pour survivre« . À la solitude, choisie, qui lui permet de se connecter avec elle-même, elle préfère d’ailleurs la notion d’autonomie, construite par l’anticipation de tous les scénarios possibles, et la mise au point de systèmes pour les affronter.
Comme le suggère Julien Douady, Isabelle Autissier retrouve bien un sens fort de la communauté dans l’équipage d’un bateau qui s’apparente à une cordée de haute montagne. « Le groupe rend plus fort« , pour traverser une nature dangereuse, montagne ou mer, qu’on ne peut prétendre contrôler. Cette force de cohésion se construit par l’exercice de l’empathie, l’écoute, l’attention aux signaux faibles des autres pour devancer les conflits et les gérer.
Le juge de paix
Après avoir navigué vite durant ses courses autour du monde, Isabelle Autissier souhaite à présent « naviguer lentement« , jeter l’ancre et passer du temps sur les lieux où elle n’était que de passage, apprécier la beauté du monde des glaces et de ce qu’elle appelle tendrement les « chiures de mouche« , c’est-à-dire les petites îles perdues sur la carte et délaissées des autres bateaux. Pour savourer cette navigation contemplatrice elle souhaite poursuivre ses collaborations à bord et sur les pages, pour écrire à deux.
Le « juge de paix » réduit la distance entre l’action et ses conséquences par des jugements rapides, sans l’intermédiaire d’avocats. Or, c’est le titre qu’Isabelle Autissier donne au réel avec lequel on ne peut fabuler, négocier, échapper. Son engagement pour la préservation de l’environnement découle logiquement de cette position qu’alimentent ses révoltes actuelles : le déni des choses telles qu’elles sont au profit d’idéaux fictionnels, la glorification sans lendemain du passé et l’indifférence aux tragédies qui broient les autres.