La deuxième journée du colloque nous avons accueilli Solveig Fernagu, directrice de recherche au LINEACT CESI, co-responsable du thème « Apprendre et innover », pour partager son expertise et préciser le cadre scientifique autour du thème de l’engagement et du pouvoir d’agir.
Les environnements capacitants
Solveig Fernagu est revenue tout d’abord sur la notion d’environnement capacitant, « c’est-à-dire des environnements offrant les conditions propices à ce que chacun développe ses dispositions à apprendre (construction de nouveaux savoirs et de nouvelles compétences), et son pouvoir d’agir » (Appel à communication QPES 2021). Pour mieux appréhender cette notion d’environnement capacitant, elle nous a invité à comprendre celle du pouvoir d’agir et des capabilités, c’est-à-dire « disposer du pouvoir de faire quelque chose », qu’elle distingue de la capacité qu’elle renvoie directement à l’action, c’est-à-dire « avoir le droit de faire quelque chose »
Elle rappelle ainsi que l’acte d’apprendre ne peut se faire à la place de la personne, qu’un « apprentissage est [toujours] singulier » et que l’on ne peut que « aider à apprendre et donner l’envie d’apprendre », principe parfois oublié, selon elle, par les « organisations apprenantes » que sont les établissements de formation dans leur organisation collective et « offrant des moyens de formations identiques pour tous ».
Pour asseoir notre compréhension de la notion du pouvoir d’agir, qu’elle associe à celle du développement des individus, Solveig Fernagu inscrit son cadre dans la définition d’Amartya Sen, économiste et philosophe indien, prix Nobel en 1998. Dans la vie courante, se développer professionnellement renvoie généralement à l’idée d’accroissement des savoirs professionnels. Dans une perspective senienne, on envisage le pouvoir d’agir comme un pouvoir de transformation, un « bien naître » des situations (se nourrir des situations pour grandir), un épanouissement.
Cette question nous parait essentielle dans le cadre de l’enseignement supérieur qui est le nôtre. Que visons-nous pour nos étudiantes et étudiants ? Qu’entendons-nous par formation de haute qualité ?
Vers l’approche interactionniste
Ce développement dont elle parle, dans le cadre « d’organisations apprenantes », peut prendre la forme du développement de compétences. S’intéresser au développement des compétences, c’est se poser, selon Solveig Fernagu, 3 questions essentielles :
- Comment les processus d’apprentissage opèrent dans les contextes de travail et de formation ?
- Quelles sont les caractéristiques des environnements de travail et de formation qui influent sur ces processus ?
- Comment dynamiser les environnements pour qu’ils soient plus apprenants ?
Pour traiter ces questions, Solveig Fernagu, s’appuie sur le triangle de Guy Le Boterf (2002) qui explique qu’être compétent c’est « que l’on sait, que l’on peut et que l’on veut », « La compétence est donc quelque chose de singulier, de contextualisé, de personnel ».
Elle attire notre attention sur le fait que dans un certain nombre de démarches pour le développement des compétences, on considère que « les individus sont capables de se prendre en charge dans leur développement et que c’est à eux d’aller mobiliser les ressources (internes) dont ils ont besoin ». Ainsi, l’individu a « des capacités à être et à faire et peut donc se débrouiller des évènements ». C’est ce qu’elle appelle l’approche délégataire/dispositionnelle. Par exemple, c’est considérer qu’une nouvelle personne dans un nouvel emploi (nouvelle recrue, stagiaire, etc.) doit être « autonome », pourvoir se débrouiller, pour découvrir son environnement de travail, ses collègues, ses missions etc.
Une autre approche, l’approche ressourciste, consiste à mettre en place des ressources auxquelles l’individu devra s’adapter. Par exemple, c’est « mettre à disposition de nombreuses ressources, humaines, matérielles, techniques etc. sous forme de formation, d’outil, d’équipement et que de facto, cela se transformera en apprentissage ». Solveig Fernagu précise : « Ce n’est pas parce que l’on met des espaces collaboratifs en ligne que les élèves vont apprendre à travailler ensemble ».
Elle nous propose aussi de faire le lien et de permettre la rencontre entre l’individu et l’organisation, entre les ressources et les dispositions, grâce à une approche interactionniste, celle sur les capabilités. En effet, l’objectif est bien de réconcilier les différentes approches autour de l’individu, qui sont souvent très psychologiques, et celles autour des organisations, plus souvent sociologiques, en proposant d’étudier la manière dont les individus et les organisations interagissent. Cette approche permet donc d’étudier la nature capacitante des environnements, des ressources mises à dispositions, par l’étude des interactions entre les uns et les autres et d’identifier les environnements pouvant être capacitants, incapacitants ou décapacitants.
En découvrant ou redécouvrant l’enregistrement de cette intervention de Solveig Fernagu, nous vous invitons à réfléchir à ces questions qui relèvent, au sein des établissement de formation, de nos pouvoirs d’agir :
Comment apprécier et exploiter le potentiel d’apprentissage d’environnement de travail ou de formation ?
Comment permettre aux apprenants de saisir des opportunités de développement qui existent dans ces environnements ?
Les communications sont à ce jour disponibles sur le site de présentation du programme du colloque et vous retrouverez prochainement les actes du colloque référencés sur le site d’archives ouvertes HAL. Les actes QPES 2019 « (Faire) coopérer pour (faire) apprendre ? » sont consultables ici.